Plan Métropolitain des Mobilités, l’analyse d’EDEN

Le Plan Métropolitain des Mobilités (P2M) est voté ce jeudi 25 novembre 2021 après-midi en Conseil Métropolitain. Objectif affiché : révolutionner les mobilités afin de répondre aux enjeux environnementaux et sociaux.
 
Notre association s’est engagée activement tout au long du processus de concertation des Assises de la Mobilité. Etape ultime ce lundi 22 novembre : la Métropole, sous la houlette de Laurence Wieser, conseillère déléguée aux mobilités actives et à la qualité de l’air, nous a conviés avec d’autres associations et représentants d’usagers à une réunion de présentation du P2M. Qu’en est-il vraiment ?
 
La Métropole porte une véritable ambition de transformation des usages, c’est indéniable. D’ici 2030, elle présente des objectifs très volontaristes de réduction de l’usage de la voiture au profit des autres modes de mobilité : marche, transports en commun et surtout vélo et autres trottinettes, gyroroues, etc (les EDPM). Voici les objectifs de « parts modales » :
Définition : la part modale représente la proportion des déplacements d’un mode de mobilités sur la totalité des déplacements effectués. Par exemple, aujourd’hui, les transports en commun représentent 12% de tous les déplacements.
 
En effet, les chiffres parlent d’euxmêmes. Sur 960 000 déplacements quotidiens au départ ou à destination de la Métropole, la moitié est effectuée en voiture (conducteur ou passager). 80% d’entre eux font moins de 8 km, 60% font moins de 5 km et 20% font moins de 1 km. Le graphique ci-dessous illustre très bien la répartition des déplacements par mode et par distance de trajet. A droite du graphique sont indiquées les perspectives espérées de transfert de part modale de la voiture vers le vélo.
Les marges de manoeuvre pour effectuer ces reports sont donc considérables, mais la mise en oeuvre de ces reports demande une politique publique forte et engagée.
 
Aidée par le bureau d’études Inddigo, la Métropole estime ainsi pouvoir respecter à son échelle sur le volet transport les objectifs de réduction des gaz à effet de serre, déclinés dans la « Stratégie Nationale Bas Carbone » (SNBC). Nous rappelons que le secteur des transports contribuait en 2018 pour 25% des émissions de gaz à effets de serre sur la région Grand Est. L’influence et les choix de la Métropole sont essentiels. En effet, 59% des déplacements effectués sur le bassin de vie concernent la Métropole. Nous pensons toutefois que la Métropole se contente du minimum et ne va pas assez loin. Alors que les experts scientifiques du GIEC alertent et nous demandent de réduire nos émissions de 65% d’ici 2030, la SNBC quant à elle prend appui sur une réduction de 40% d’ici 2030.
La Métropole compte également s’appuyer sur ce P2M pour améliorer la santé, la vie et la qualité des rapports sociaux dans la ville.
 
Afin de répondre à ses objectifs, la Métropole se dote d’un plan d’action de rigueur très inégale, tout de même chiffré à 500 millions d’euros, dont 300 millions de 2020 à 2026. Tous les modes de mobilités sont certes concernés mais, pour EDEN, la cohérence d’ensemble est vacillante et susceptible d’être trop facilement arbitrée défavorablement lorsque les vrais choix seront à faire. Cette méfiance est justifiée au regard des décisions récentes pour le réaménagement de la rue Jeanne d’Arc.
 
Le futur réseau des lignes structurantes du transport en commun présenté comme un axe fort est décliné sur 2024, 2026 et 2035. En plus du trolley bus électrifié, qui va remplacer le TVR début 2024, 4 lignes en BHNS (Bus à Haut Niveau de Service) vont être déployées à la place des 3 lignes actuelles. L’architecture n’est toutefois pas révolutionnée. La nouveauté passe par la compatibilité de la plateforme de la ligne 1 avec les BHNS. Cela va permettre de faire passer plusieurs lignes sur un même axe. Ainsi, l’avenue du Général Leclerc à Nancy accueillera la ligne 1 et la ligne 4. En revanche, ce réseau donne toujours l’impression d’une certaine inefficacité :
 – Une 5ème ligne à haut niveau de service qui ne dessert pas vraiment de nouveaux quartiers. Elle permet certes une meilleure desserte sur certains territoires comme à Vandoeuvre ou aux Trois Maisons, mais au détriment d’autres communes de la Métropole telles que Malzéville ou Pulnoy.
 – Une faible création de nouveaux sites propres (+12 km), pourtant garants de la fiabilité et de la rapidité du réseau. Par ailleurs, aucune ligne ne se trouvera entièrement en site propre, même pas la ligne 1.
 – Des lignes qui serpentent et zigzaguent alors que les lignes à haut niveau de service exigent plutôt des itinéraires directs et le plus droits possibles, pour une meilleure lisibilité et efficacité.
 – Des lignes qui ne se prolongeront pas suffisamment aux frontières de la Métropole, dans les zones d’activités et les zones industrielles, comme à Brabois ou au Dynapôle de Ludres, même si ces hypothèses figurent dans le P2M.
A l’horizon 2035, la Métropole ne fait toujours pas le choix du tram ferré avec un tram-train, préférant laisser cette décision aux élus du prochain mandat.
En conclusion, ce réseau de transport en commun ne nous donne pas l’impression de pouvoir efficacement délester le trafic automobile, particulièrement celui venant de l’extérieur de la Métropole, comptant pour 100 000 déplacements quotidiens. Pourtant, ces zones attirent de nombreux trajets en voiture et les alternatives crédibles se font rares.
 
Le plan vélo (incluant les EDPM, engins de déplacement personnels motorisés) prend en compte l’ensemble des aspects du système vélo : formation, réparation, location, aménagements, stationnement, etc. C’est un grand motif de satisfaction pour nous ! Il inclut également un schéma directeur cyclable quant à lui chiffré à 68 m€ pour le mandat en cours et à 66 m€ supplémentaires pour le mandat suivant. Rapporté au nombre d’habitants et par an, cela dépasse les investissements annuels pratiqués dans les villes européennes les plus avancées en la matière, comme aux Pays-Bas ou au Danemark. Sur le mandat précédent, la Métropole a investi tout au plus une dizaine de millions d’euros. Ce schéma se veut cohérent, sécurisant et rapide, de telle sorte que tous les habitants de la Métropole se trouveront à moins de 500 m des itinéraires principaux ou interquartiers. A très court terme (2024), la Métropole va donc se doter d’une armature cyclable empruntant :
 – sur un axe Est-Ouest : la rue Mon Désert, la rue Charles III, une passerelle enjambant le canal pour venir se reconnecter aux aménagements existants de la Meurthe vers Tomblaine et Essey.
 – sur un 1er axe Nord-Sud : le côté Ouest du canal qui va être transformé pour accueillir une large voie verte
 – sur un 2ème axe Nord-Sud : la rue Jeanne d’Arc actuellement en travaux pour rejoindre le boulevard Barthou et l’avenue de Brigachtal à Jarville.
D’ici 2026, près d’une centaine de kilomètres de nouveaux aménagements cyclables seront donc réalisés. Mais attention, nous n’oublions pas que la rue Jeanne d’Arc ne respecte pas du tout les recommandations minimales du CEREMA car la Métropole a préféré préserver y un axe automobile intense. Nous n’acceptons donc pas que la rue Jeanne d’Arc soit intégrée dans ce schéma directeur et nous restons dubitatifs, ou du moins prudents, sur la véritable qualité des autres aménagements cyclables, le diable se cachant souvent dans les détails. Aucune refonte de la charte métropolitaine des aménagements cyclables n’est annoncée dans le P2M.
 
C’est ici que le bât blesse : comment s’assurer que de nouveaux espaces aujourd’hui nettement dédiés à l’automobile seront repris au bénéfice des autres modes vertueux et en quantité suffisante ? Sur le plan automobile, la Métropole ne nous a pas présenté de plan de circulation sérieux, mais seulement quelques principes généraux. Pour EDEN, ce travail est fondamental. C’est lui qui dictera où pourront être repris les espaces pour le vélo, les transports en commun, la marche, pour une ville plus apaisée, plus végétale et plus calme. C’est également lui qui permettra d’abaisser le trafic automobile de telle sorte qu’il autorisera la mixité vélo / auto, selon les recommandations du CEREMA. Dans cette configuration, il n’y a plus besoin de coûteux aménagements cyclables, il s’agit simplement de requalifier la rue. Cela n’a pas été fait par la Métropole, alors que nous l’avons dit dès la première réunion et inlassablement répété ensuite. Les aménagements cyclables en site propre permettent avant tout d’assurer la sécurité des usagers là où la mixité ne leur est pas tolérable. Cela signifie qu’il est possible d’aménager un axe structurant dans une zone « mixte ». C’est typiquement la fonction d’une « vélorue ».
Relativisons toutefois : la Métropole annonce enfin, noir sur blanc, une véritable volonté de réduire la place et le volume de l’automobile. La généralisation de la circulation à 30 km/h est également promise. L’élan est enclenché et c’est pour nous essentiel.
 
La concertation lors des Assises de la Mobilité nous a permis de prendre appui sur l’expertise de Sonia Lavadinho, anthropologue et géographe, qui a conseillé la Métropole et animé les ateliers. La Métropole en garde la substance, c’est à dire la volonté de requalifier des espaces emblématiques moches, dédiés au trafic automobile, afin de prendre en compte l’humain dans son environnement et les rapports sociaux. Sur ces espaces, l’automobile laissera la place à d’autres fonctionnalités et usages comme des rues vertes, des espaces de convivialités, végétaux, rafraichissants l’été et chaleureux l’hiver. Toute la Métropole est concernée, pas seulement Nancy puisque nous avons été invités à émettre des propositions sur toutes les communes. Selon Sonia Lavadinho, la requalification de ces espaces amène mécaniquement les gens à se déplacer autrement. Voyant le succès de la piétonnisation de la place Stanislas, nous la croyons !
 
Le plan piéton est également constitué de principes généraux, mais pas de schéma directeur comme pour le vélo ou les transports en commun. La piétonnisation complète du centre historique de Nancy attendra donc l’aboutissement des négociations et tractations avec les commerçants, et c’est très dommage. Nous considérons que l’expérimentation de la piétonnisation de cet été n’en a que le nom, puisque les zones géographiques étaient toujours très réduites et les plages horaires assez faibles.
 
Malgré une volonté sincère de concertation, la Métropole pèche lourdement dans la méthode. La Métropole nous a inclus dans de nombreux dispositifs pour recueillir nos avis et perceptions, nous a invités à faire part de nos contributions sur une plateforme numérique et nous associés sur deux événements publics. Cependant, la nature des échanges se concentrait essentiellement sur les « lieux candidats » de Sonia Lavadinho. Certains temps de réunion étaient dédiés à certains aspects du P2M, comme le plan vélo. Mais la rédaction du P2M et sa cohérence d’ensemble ont été élaborées au sein des services techniques de la Métropole. Les élus ont pu l’amender lors d’une seule commission mobilité le mardi 16 novembre. Les associations quant à elles n’ont pas pu avoir accès aux documents préalablement à la réunion du lundi 22 novembre, ce qui a rendu difficile toute réflexion construite, puisque la présentation était nécessairement parcellaire au vu du délai imparti. Il y a un an, nous avions déjà identifié que les délais pour rédiger le P2M étaient très courts. La Métropole, en menant sa rédaction à marche forcée s’est donc privée des vertus de la délibération et de la construction itérative du document. La démocratie et la participation citoyenne large ne sont pas un luxe mais une étape essentielle dans l’appropriation de la politique publique par les habitants. Elle a un coût et elle prend du temps. Toutefois, un citoyen plus conscient acceptera plus facilement les changements radicaux qui doivent advenir. Dont acte, le travail ne s’arrête pas au vote du P2M, nous continuerons à suivre le dossier car le plus dur reste à faire.
 
En résumé, le P2M voté ce jeudi 25 novembre porte véritablement dans son essence une révolution des usages des mobilités à même de répondre, même partiellement, aux enjeux environnementaux et sociaux. Le plan d’action proposé par la Métropole explore tous les modes, intègre judicieusement la dimension sociale des rapports humains en mouvement mais ses fondations sont très fragiles, car l’espace dédié à l’automobile reste dans l’angle mort alors qu’il n’y a pas d’autres variables d’ajustement. Si l’on veut faire émerger d’autres modes de mobilité, il faut impérativement réduire la place de l’automobile. La révolution demandée est telle que la transformation des habitudes ne se fera pas sans les habitants. C’est pourquoi nous regrettons le manque de méthode et de moyens de la Métropole dans la procédure de concertation. Le plus dur reste à faire et nous incitons toujours à inclure les habitants le plus largement possible car un citoyen actif dans la politique publique est le meilleur levier pour réussir la « vélorution » des mobilités.