Vignette CRIT’AIR sur le Grand Nancy

Contribution de l’association EDEN à la consultation publique sur le projet d’arrêté « circulation différenciée » basé sur la vignette Crit’Air à l’échelle de la métropole du Grand Nancy, 13/01/2020

Lien vers la consultation: http://enqueteur.dreal-alsace-champagne-ardenne-lorraine.developpement-durable.gouv.fr/index.php/74442

Lien vers les documents : http://www.grand-est.developpement-durable.gouv.fr/consultation-sur-la-circulation-differenciee-r6951.html

1 – Résumé du projet d’arrêté en l’état :

La circulation différenciée sera déclenchée à partir du 3ème jour de la procédure d’alerte – soit le 4ème jour du pic de pollution si la procédure d’alerte a été précédée par une journée de procédure d’information, ce qui est le cas dans la très grande majorité des épisodes de pollution. Cette occurrence représente en moyenne une application de la mesure une à deux journées par an.

Quels véhicules sont concernés ?

Seuls les véhicules équipés de certificats CRIT’AIR 0, 1, 2 ou 3 seront alors autorisés à rouler. L’apposition du certificat Crit’Air sur le pare-brise sera obligatoire pour circuler les jours où la circulation différenciée sera activée. Les véhicules interdits (de classe crit’air > 3) correspondent à environ 10 % des véhicules de chaque classe, voiture, camionnettes et poids lourds.

Où ?

La circulation différenciée s’appliquera sur tous les axes de circulation de la Métropole en excluant les axes A31, A33, ainsi que l’A330 au sud de l’échangeur A33/A330

Dérogations prévues pour les véhicules d’urgence principalement

Effets attendus :

Réduction de 9 % des km parcourus sur la métropole mais réduction de 18 % des rejets de oxydes d’azote et 16 % des particules fines.

Sanction pour non-respect ou absence de vignette : amende de 45€ pour un véhicule de < 3,5t, 90€ pour un véhicule > 3,5t.

2 – La vignette Crit’air

Un récapitulatif du classement Crit’air est ici (source ministère de la transition écologique) :

3 – Les normes Euro

Les normes européennes fixant les niveaux d’émission limite sont les suivantes (source https://fr.wikipedia.org/wiki/Norme_européenne_d%27émission):

L’évolution des limites d’émission en pourcentages représentés pour les poids lourds (même source, ministère de la transition écologique) :

Le critère d’efficacité retenu est le gramme de polluant « annexe » au CO2 par km sur un cycle normalisé appelé NEDC pour les véhicules légers produits jusqu’en 2017, puis en cycle normalisé WLTP-RDE depuis et avec l’introduction de la norme Euro 6c (suite au scandale Volswagen), le CO2 étant exclu de la liste.

Il a été montré que le cycle NEDC n’était pas représentatif et permettait des dépassements très importants des limites d’émissions en conditions réelles (voir la figure en page suivante)

Pour les poids lourds, le critère se base sur les grammes de polluants par kWh, ce qui nous semble pertinent.

4 – Analyse critique

Ces normes n’ont à peu près aucun impact sur les émissions de gaz à effets de serre et donc le réchauffement climatique vu qu’elles ne s’intéressent qu’aux polluants secondaires, annexes au CO2, il s’agit vraiment de mesures visant la santé publique et la « propreté » de la combustion faisant abstraction de considérations écologiques plus larges.

La pollution à l’ozone, liée aux rejets de NOx dus au trafic routier et en particulier ceux des véhicules diesel, est l’un des paramètres qu’on cherche en particulier à minimiser en priorité.

Un certain nombre de tests réalisés de façon indépendante ont démontré le non-respect généralisé des normes d’émission par les véhicules en situation réelle, même dans le cas de moteurs diesel à la norme Euro 6 (source https://www.eea.europa.eu/media/infographics/comparison-of-nox-emission-standards/view) :


Un meilleur respect de ces normes en utilisation réelle semble être effectif depuis la mise en place de la norme Euro 6c suite au scandale Volskswagen et la modification du cycle utilisé pour les tests d’émission.

Les critères retenus semblent être une bonne mesure de santé publique, dont on peut penser que l’efficacité s’améliorera à terme avec la mise en place de normes plus exigeantes et l’adoption pour toutes les classes crit’air des nouveaux tests plus représentatifs de la situation réelle en conduite.

Cependant, elles ne capturent pas les éléments suivants :

– Le non-respect démontré des normes par les véhicules de normes inférieures à Euro 6c implique qu’il est impossible de savoir si un véhicule (en particulier diesel) mieux classé entre les classes 3 et 5 pollue moins qu’un autre moins bien classé. L’interdiction de circuler ne devrait donc pas se baser sur une discrimination entre ces classes.

– L’unité de contrôle étant limitée au véhicule, les émissions polluantes sont apportionnées à ce véhicule indépendamment de son nombre de passagers, ce qui n’est pas juste. L’unité de mesure devrait être le gramme de polluant par passager et par km.

– Les valeurs de polluants retenues par classe devraient être les mêmes pour les véhicules essence et diesel pour qu’on puisse les comparer. On voit bien que les véhicules essence anciens respectent en moyenne les normes Euro 6c applicables aux véhicules diesel, en tout cas pour les dimensions NOx et particules.

– Les limitations s’appliquant à un centre urbain, il serait plus logique que les limites s’appliquent en cycle urbain, et pas en cycle ‘représentatif’, sachant que les valeurs d’émission sont très différentes entre ces différents cycles. On comprend que ce paramètre soit compliqué à intégrer. Il nous semble que c’est néanmoins un élément clé pour améliorer l’efficacité d’un tel dispositif.

– Si les voitures de plus de 20 ans ne sont plus classables Crit’air, elles retrouvent ce droit lorsqu’elles ont plus de 30 ans et peuvent obtenir une carte grise collection avec un certain nombre d’avantages alors que le niveau de propreté de leur combustion justifierait qu’elles soient sous le coup de l’interdiction. Nous considérons ces cas comme suffisamment marginaux à priori pour ne pas être intégrés spécifiquement à l’arrêté.

– il y a un aspect fortement socialement régressif à bannir de la circulation les vieux véhicules et en particulier l’accès au centre-ville. Ceci peut être mal perçu.

– C’est une mesure qui ne prend pas en compte l’externalité négative qui pousse à l’achat de véhicules neufs donc à la consommation de ressources et l’émission de polluants et gaz à effet de serre délocalisés et pousse également à l’abandon des véhicules fonctionnels mais polluants. Son intérêt en terme de santé publique est réel, mais son intérêt écologique est discutable et dépend de l’utilisation qui est faite du véhicule.

5 – Retour sur l’efficacité constatée dans les villes ayant mis en place des arrêtés similaires

5.1 Zones à faibles émissions (Low Emission Zones) à travers l’Europe

Source : https://www.ademe.fr/zones-a-faibles-emissions-low-emission-zones-lez-a-travers-leurope (POUPONNEAU M, FORESTIER B, CAPE F)

Note : Il ne s’agit pas de restriction d’accès applicables uniquement en cas de dépassement des seuils légaux, mais de restrictions continues. Ces restrictions sont souvent basées sur une interdiction totale d’entrer dans un périmètre, pas uniquement une interdiction de circuler, ce qui rend le poliçage plus efficace.

La synthèse présente entre autres, les impacts relevés concernant uniquement les diminutions de concentrations dans l’air ambiant.

Globalement, les gains sont relativement faibles mais significatifs pour l’ensemble des polluants, avec un gain inférieur à 10 % pour les NO2, les NOx, PM10, PM2.5. Seul le Noir de carbone (les particules) peut, selon les situations, subir une réduction forte de l’ordre de plus de la moitié.

Des baisses faibles des émissions de NOx permettent néanmoins de faire passer sous les seuils d’alerte ou d’information des surfaces, et donc une population importante. Des analyses présentant les variations en termes de nombres de personnes affectées par des dépassements de seuil permettent de dire que les faibles variations de niveaux observées restent des mesures de santé publique pertinentes, et ce en particulier pour les publics les plus fragiles ou socialement défavorisés qui sont souvent les plus touchés par les conséquences négatives des émissions (ref https://www.transportenvironment.org/sites/te/files/publications/2019_09_Briefing_LEZ-ZEZ_final.pdf).

6 – Recommandations

Justesse du critère d’application :

– dans l’optique d’une amélioration des caractéristiques écologiques des voitures, et en particulier en vue de prendre en compte la dimension d’émissions de gaz à effet de serre il apparaît extrêmement souhaitable que les émissions de CO2/km soient incluses dans les critères Euro à l’avenir pour les voitures particulières et les émissions de CO2/kWh pour les poids lourds . Cela n’est bien entendu pas du ressort de la préfecture, ni de la Métropole.

– Toujours dans cette optique, il serait souhaitable d’avoir des normes Euro qui intègrent des niveaux de pollution différents suivant les cycles d’utilisation, ce qui permettrait de faire une norme sur la base des émissions en cycle urbain, car le problème qu’elles ciblent est principalement urbain.

– vu que les normes Euro 1 à 6b n’ont que peu d’utilité pour les véhicules diesel, n’étant en pratique pas respectées en situation réelle, nous recommandons de ne baser le niveau d’exclusion que sur des paramètres dont on sait qu’ils sont pertinents en pratique, c’est à dire d’exclure les véhicules diesel ne respectant pas la norme Euro 6c. Cela n’est pas exactement possible avec les vignettes crit’air, le mieux qu’on puisse faire étant de discriminer entre les véhicules diesel de classe crit’air 2 et 3.

– Dans l’optique de prendre en compte le nombre de passagers pour augmenter la justesse du critère d’interdiction, nous recommandons de n’appliquer l’exclusion qu’aux véhicules ne transportant qu’une seule personne.

– En résumé, l’association EDEN recommande donc que ces mesures de restriction de circulation ne s’appliquent qu’aux véhicules diesel de classe Crit’air supérieure à 2 (ie 3 à 5 et non classés ou sans vignette), ne transportant qu’une seule personne.

Aspect socialement exclusif :

– il est nécessaire de fournir des alternatives aux personnes ne disposant que de leur véhicule personnel pour venir sur Nancy. Nous recommandons donc de rendre possible l’accès de ces véhicules jusqu’aux parkings relais situés en périphérie du centre, depuis l’extérieur de la métropole, et par l’itinéraire le plus court y conduisant (à clarifier sur carte).

– Nous recommandons que la gratuité des transports publics urbains soit intégrée automatiquement à cet arrêté, à partir du jour où débute la circulation différenciée.

Durée et déclenchement de l’application de l’interdiction

– La rapidité de mise en place de cette mesure une fois le seuil d’alerte dépassé est un élément essentiel de son efficacité (ref https://auto.bfmtv.com/actualite/circulation-differenciee-est-ce-efficace-pour-faire-baisser-la-pollution-1720310.html).

– Nous recommandons que l’arrêté s’applique dès le jour suivant le déclenchement de la procédure d’alerte définie à l’article 4 de l’arrêté inter-préfectoral du 24 mai 2017, et jusqu’à son terme.

Affichage et mesures d’information

– Les mesures d’affichage et d’information des citoyens en cas de procédure d’information comme d’alerte restent insatisfaisants, certains de nos adhérents ont en particulier noté l’absence d’information relayée sur les réseaux sociaux de la mairie de Nancy et de la métropole lors de l’épisode de pollution aux particules fines les 26 et 31 décembre derniers (procédures d’information).

Les procédures d’information doivent donc être renforcées pour toucher un public plus large.

Impact attendu de nos recommendations :

Ces recommandations impliquent que l’interdiction de circuler toucherait une plus grand partie du parc automobile. D’après les chiffres notés en annexe 7 ci-dessous, l’ensemble des véhicules de classe crit’air supérieure à 2 et non classés/non classables représente 39 % du parc de la métropole. Si on suppose que le ratio diesel/essence reflète le ratio national (62% en 2017) et soit également réparti suivant les classes crit’air (pour simplifier), il est possible d’estimer que le critère d’interdiction de circulation que nous proposons affecterait de l’ordre de 24 % du parc automobile de la métropole.

L’interdiction de circulation toucherait fortement les véhicules de livraison (en particulier, tous les poids lourds diesel immatriculés avant 2014), ce qui pourrait nécessiter des mesures d’accompagnement ou au moins une progressivité dans la verbalisation.

L’augmentation du nombre de voitures affectées par rapport à ce qui est actuellement prévu augmenterait beaucoup son efficacité pédagogique, tout en donnant aux conducteurs 3 alternatives pour ne pas être bloqués : covoiturage dans leur propre véhicule, utilisation des parkings relais, et transports urbains gratuits. Le nombre de jours d’activation de la procédure augmenterait aussi sensiblement du fait qu’on n’attende pas 4 jours pour mettre en place la circulation différenciée. Son déclenchement rapide serait une façon d’augmenter beaucoup son efficacité et, par suite, les gains en termes de santé publique. Il est probable que cette mesure permette une réduction mesurable du nombre de jours d’activation de la procédure d’alerte, si tant est qu’elle soit bien acceptée et suivie.

7 – Annexe : Description du parc automobile de la métropole

Les informations ci-dessous proviennent de statistiques gouvernementales : https://www.statistiques.developpement-durable.gouv.fr/le-parc-de-vehicules-selon-leur-categorie-critair-dans-les-zones-faibles-emissions-zfe