Au-delà du tram, il faut planifier globalement nos mobilités !

Au-delà du tram, il faut planifier globalement nos mobilités !

EDEN réagit à la délibération du conseil métropolitain du 11 février 2021 qui sursoit le projet de tramway

Nancy, le mardi 9 février 2021

L’association EDEN souhaite réagir aux différentes prises de position et déclarations des élu⋅es en responsabilité sur la politique mobilité de la Métropole et particulièrement sur celle concernant la délibération qui va probablement surseoir le projet de renouvellement de la ligne 1 pour un tramway ferré.

Ne doutant pas de la volonté de bien faire des élu⋅es, nous pensons que la Métropole risque de faire fausse route si elle ne prend pas le temps de faire un diagnostic méticuleux sur la situation des mobilités.

Résumé des idées principales de cette délibération :

  • Le projet de renouvellement présenté dans la DUP (Déclaration d’utilité publique) coûte trop cher pour une Métropole déjà endettée et handicapée par un coup de fonctionnement élevé, des recettes en baisse et au regard d’une efficacité relativement faible.
  • L’impact des travaux serait malvenu au moment où la crise économique frappe en pleine crise sanitaire.
  • L’ambition en matière de mobilité de l’exécutif est de traiter tous les besoins de déplacements et d’accessibilité à l’échelle de la Métropole et du bassin de vie, en offrant un haut niveau de service à tous les usagers (transports en commun, vélos, piétons, stationnements, connexions au réseau ferré) et en favorisant l’intermodalité et les réseaux suburbains.
  • Le projet de transport sera défini au moyen de diagnostic et d’études d’ingénierie sur les mobilités : enquête ménage déplacement, faisceaux stratégiques, modélisations des systèmes de mobilité, identification des futures technologies de matériels roulants et faisabilité technico-économique.
  • Ce temps d’étude et de réflexion est permis car le TVR peut circuler au moins jusqu’à fin 2022, peut-être quelques mois supplémentaires. Une démarche participative sera mise en place avec les assises de la mobilité avant l’été 2021.

Nous saluons tout d’abord la décision de se désengager de la DUP qui souffrait de nombreux handicaps pour assurer la pleine performance d’un tramway ferré aux côtés des autres modes de mobilité. Accepter la DUP telle quelle aurait nuit à toute possibilité de remettre à plat l’organisation et la planification des mobilités.

En revanche, l’association EDEN reste a priori favorable à un éventuel projet de tramway ferré soutenable. Une ligne de tramway devrait s’implanter sur un axe structurant transportant de nombreux voyageurs tout au long de la journée sans artificialiser de nouveaux espaces. Pour bénéficier d’un haut niveau de service avec un cadencement et une vitesse moyenne élevés, il est nécessaire d’adopter un tracé à 100 % en site propre et une priorité absolue aux carrefours. Cependant, d’autres technologies pourraient très bien s’adapter aux contraintes nancéiennes, c’est pourquoi une étude globale doit être menée, citons par exemple les trolleys, double-trolleys et les téléphériques.

Cette étude doit prendre en considération l’ensemble des grands enjeux sanitaires, sociaux, économiques et écologiques de notre époque. Le secteur des transports contribue à 30 % des émissions des gaz à effet de serre en France tandis que l’automobile représente 57 % de ces émissions. Selon les engagements pris par les 27 pays de l’Union Européenne en décembre 2020, ces émissions doivent être réduit de 55 % d’ici 2030. La Métropole du Grand Nancy a donc un rôle majeur à jouer sur la réussite de ces objectifs.

Répartition sectorielle des émissions de gaz à effet de serre en France en 2017

Répartition sectorielle des émissions de gaz à effet de serre en France en 2017

Note : Inventaire national hors utilisation des terres, changement d’affectation des terres et foresterie (UTCATF).

Champ : France périmètre Kyoto (métropole + outres mers appartenant à l’UE)

Source : CITEPA, rapport Secten 2018

Traitement : SDES, 2019

Nous mentionnons l’un des déterminants principaux de l’impact environnemental qu’aura le projet résultant : son mode de motorisation.

La décarbonation de l’économie implique de commencer à mettre en œuvre des solutions décarbonées. Le système de transport nancéien qui sortira du chapeau devra rouler à électricité, qu’il soit sur rail ou non. S’il brûle des combustibles fossiles, c’est un retour en arrière.

En plus des impacts sur le climat, l’automobile génère de nombreuses nuisances qu’il est à notre porté de réduire : la pollution de l’air (tue prématurément plus de 400 000 personnes en Europe), l’accidentologie (tue plus de 3000 personnes en France), la pollution sonore, la sédentarité par l’inactivité physique de nos déplacements et la rupture des liens sociaux. L’automobile envahit l’espace public, isole le conducteur et ses passagers du monde extérieur tandis que le temps de trajet est parfois imprévisible avec les embouteillages. Il est temps d’améliorer collectivement notre qualité de vie et d’en faire bénéficier le plus grand nombre tout en montrant l’exemple aux autres territoires.

Pour EDEN, le grand chantier de la politique mobilité ne commence pas par le renouvellement de la ligne 1, ni par la refonte du réseau de transport en commun, mais par une planification de l’offre de mobilités alternatives à la voiture individuelle impliquant la réduction préalable du plan de circulation automobile.

La première chose à faire serait de tout remettre à plat et de s’accorder sur un diagnostic général de la situation actuelle des mobilités et des enjeux environnementaux et sociaux. Bien qu’ancienne, commençons par l’enseignement principal de l’enquête ménage de l’ADUAN (ex agence SCALEN) de 2013 : 50 % des trajets effectués dans le Grand Nancy le sont en voiture tandis que 36 % sont fait à pied, 12 % seulement en transports en commun et moins de 2 % à vélo. L’aire urbaine de Nancy est dominée par la place de l’automobile et des véhicules motorisés. Elle occupe en outre une place majoritaire de l’espace public. Des disparités marquées existent entre les territoires, avec une ville-centre piétonne et les communes périphériques dominées par l’automobile et abandonnées par les transports en commun. Cette répartition des modes de déplacement pourraient être avantageusement redistribuée de la voiture vers la marche, le vélo et les transports en commun, en agissant à la fois sur les besoins de proximité et la hiérarchisation des axes de circulation.

Tous les modes de mobilités ne se valent pas et ils ne méritent donc pas d’être traités « toutes choses égales par ailleurs », en segmentant par mode et par zone géographique comme semble vouloir le faire la Métropole.

Nous demandons de commencer par traiter sérieusement le point dur du plan de mobilité, à savoir la place de l’automobile individuelle, relativement inefficace dans de nombreuses situations. Une façon de procéder reconnue par les urbanistes consiste à étudier un nouveau plan de circulation automobile hiérarchisé qui réduira la place de l’automobile sans la supprimer complètement. Ces solutions vertueuses ont été mises en œuvre dans d’autres grandes villes européennes, comme Groningen dès 1977, Strasbourg en 1992 ou Gand en 2017. La Métropole devrait se tourner vers elles et vers les urbanistes compétents.

Frédéric Héran, Vers des politiques de déplacements urbains plus cohérentes, 2017 https://journals.openedition.org/norois/6242

Florian Le Villain, Changer la circulation pour changer la ville, 2020 https://issuu.com/florianlevillain/docs/changer_la_circulation_pour_changer_rennes_-v24-09

Cette réorganisation rendra concurrentiellement plus intéressants les modes les plus adaptés. Le rayon d’action de la marche se situe entre 0 et 2km, les EDPM et le vélo entre 0,5 et 10 km, et les transports en commun peuvent mailler toute l’aire urbaine et au-delà via le réseau ferré, ce qui rend ces modes tout à fait pertinents dans de nombreuses situations. Certaines zones peuvent être exclusivement rendues aux modes actifs, à adapter selon les services et usages à proximité.

Il s’agit donc de renvoyer le transit automobile sur des axes structurants et de les rendre moins nombreux qu’aujourd’hui. En les organisant en anneaux concentriques reliés par des radiales, le réseau automobile restera praticable pour les automobilistes et les services logistiques qui en ont besoin. Il nous semble que la Métropole du Grand Nancy accueille déjà ces structures sur au moins deux anneaux et qu’il convient simplement de les requalifier.

Pour les zones à apaiser, qu’elles soient résidentielles, commerçantes ou touristiques, il existe différents outils, à adapter selon la zone :

obstacles filtrants : interdisent la circulation automobile mais pas des modes doux,

sens de circulation en boucle : ramènent le flux sur les axes principaux,

sens de circulation en opposition mais à double sens cyclable : apaisent une rue résidentielle ou commerçante sans empêcher complètement la circulation automobile,

zones à trafic limité, contrôlée si nécessaire par des dispositifs de contrôle automatisés : pour limitent la circulation automobile aux usages prioritaires,

quartiers « superblocks » sur le modèle barcelonais : ramènent l’automobiliste en amont de l’artère principale quand il emprunte une rue résidentielle,

chicanes en ligne droite : cassent les trajectoires pour apaiser la vitesse.

Ainsi, dans un quartier résidentiel, il ne sera plus concevable de laisser faire un trafic automobile opportuniste, c’est-à-dire empruntant un raccourci pour traverser le quartier. En revanche, l’accès aux riverains sera toujours permis. Dans ces zones apaisées, les trafics automobiles et cyclistes pourront être mélangés, jusqu’à la création de vélorues, axes cyclables structurants ouverts à la circulation automobile résidentielle.

Si elle est suffisamment ambitieuse, cette refonte du plan de circulation automobile bénéficiera à la fois aux transports en commun, aux cyclistes, aux EDPM et aux piétons, pour lesquels des voies en site propre pourront être créées, rendant le système plus performant, rapide, fiable donc plus attractif. Nous pensons par exemple que la monté d’un tramway en site propre à Brabois par les lacets de l’avenue Général Leclerc deviendra crédible, car le flux de circulation automobile se sera redistribué ailleurs ou se sera évaporé. L’idée d’un réseau cyclable sécurisé, rapide et continu devient également beaucoup plus crédible tout en rendant des espaces piétons et apaisés.

Concernant les flux de circulation de personne, il est établi qu’à section constante, les voies cyclables et les voies de transport en commun accueillent un flux plus important que les voies automobiles. Cependant, l’usage de la voiture reste pertinent lors des déplacements en périphérie de la Métropole. Il convient donc de prévoir de nouveaux espaces d’intermodalités efficaces et capacitaires tels que les parkings relais et des espaces de stationnement pour les vélos en gare.

Les solutions de voitures partagées doivent également être étudiées, c’est par exemple le cas pour la Métropole de Nice qui aide au développement d’un projet de voiture autonome partagée. La Métropole de Rennes a quant à elle engagé le débat il y a déjà 3 ans.

Un dernier avantage de la refonte du plan de circulation, c’est qu’il peut être mis en œuvre en une seule nuit, avec un rapport efficacité/prix redoutable. Cependant, cette rapidité doit être précédée d’une préparation patiente et minutieuse impliquant toute la population et les acteurs locaux dans la démarche. À chaque étape, nous recommandons d’expliquer patiemment la méthode et leur proposer d’imaginer de nouvelles vies de quartier avec ces nouvelles rues apaisées. D’autre part, nous recommandons d’inciter et d’aider les entreprises et centres d’activité à s’adapter, par leur PDIE (Plan de Déplacement Inter-Entreprise) et par le réaménagement de leur parking et accès en faveur des vélos et des piétons.

Sur le point de remettre à plat le réseau de transports en commun et de réorienter la politique mobilités sur plusieurs dizaines d’années avec de nouveaux investissements, nous espérons donc attirer l’attention de la Métropole et des grands-nancéiens sur ces enjeux fondamentaux et cruciaux.