Analyse d’EDEN sur la rue Jeanne d’Arc

La restructuration de la rue Jeanne d’Arc est d’abord une opportunité dont la Métropole profite à la suite des intervention sur les différents réseaux par les gestionnaires (EDENIS, GRDF, télécom, etc)..

Le chantier se déroule en plusieurs phases. La première phase s’est achevée en fin d’année 2019, ouvrant ainsi une nouvelle piste cyclable bidirectionnelle entre l’avenue Foch et la rue Gabriel Mouilleron. La deuxième phase a commencé à l’automne dernier, pour des travaux qui s’étendent de Gabriel Mouilleron à l’avenue Général Leclerc. La 3ème phase s’ouvrira peut-être en 2022, sinon en 2023.

Le choix qui a été fait durant la première phase, vous le connaissez, c’est le suivant :

à la place de ça :

Crédit image : Google Maps

Nous entrerons dans les détails plus tard dans l’article, mais trouvons cet aménagement globalement insatisfaisant malgré les avancées notables qu’il permet, c’est pourquoi nous avons proposé aux élus que la rue Jeanne d’Arc passe à une voie de circulation automobile au lieu de deux pour aménager une véritable piste cyclable bidirectionnelle, des trottoirs raisonnablement larges agrémentés de végétation et d’arbres.

Rencontre avec les élus de la ville de Nancy

Vendredi 2 juillet, notre association a été conviée par Morand Perrin, conseiller municipal délégué aux mobilités actives à la ville de Nancy, pour une présentation du futur projet de la rue Jeanne d’Arc à la mairie de Nancy. Voici les présents :

  • Élus ville de Nancy : Charlotte Marrel (Adjointe aux mobilités) et Morand Perrin (Délégué aux mobilités actives),
  • Élus Métropole : Laurence Wieser excusée (Déléguée métropolitaine aux mobilités actives, élue de Laxou) en raison de la préparation des Assises des Mobilités le lendemain,
  • Agents ville de Nancy : le service infrastructure et le directeur des Mobilités,
  • Agent Métropole : le chef de projet aux mobilités actives,
  • Associations :
    • Club Cyclo randonneur : deux représentants,
    • Les coursiers nancéiens : un représentant,
    • EDEN : cinq représentants.

Présentation des élus et des services

Morand Perrin a commencé son intervention en rappelant combien l’aménagement cyclable avait du potentiel, que les mesures jusqu’en octobre dernier indiquaient plus de 1000 cyclistes par jour (les meilleurs jours), qu’aujourd’hui, alors qu’il n’y a plus de continuité cyclable, les comptages ne recensent que 356 cyclistes/jour en avril en moyenne et 282 cyclistes/jour en mai. Aménager cet axe est donc pertinent pour le futur plan vélo. Bien sûr, agir sur cet axe n’est pas le plus évident du fait des contraintes de largeur et du trafic automobile relativement important pour la Métropole (11000 véhicules / jour). De plus, le Plan Métropolitain des Mobilités (P2M) n’est pas encore fixé, encore moins voté, alors que ce document cadre aurait donné la feuille de route à respecter en terme d’aménagements du territoire.

Morand Perrin a annoncé le fait que l’emplacement de la ligne 1 accueillera de vrais aménagements cyclables structurants à la suite de l’arrêt du TVR fin 2022 (Transport sur Voie Réservée). Ils devraient passer par l’axe parallèle Jean-Jaurès – Kennedy. La Métropole voudrait en échange se garder la possibilité de passer la rue Jeanne d’Arc en double sens de circulation automobile, ce qui implique de conserver une voirie suffisamment large.

Les élus et les services ont déclaré que le régime à une seule voie de circulation automobile a été testé pendant un an et n’a pas montré des résultats probants. L’argumentation reposait essentiellement sur des simulations numériques sur la base d’hypothèses de trafics équivalents à la période pré-COVID et sur les nombreux courriers et messages reçus de la part d’automobilistes. Aucunes données sur la congestion réelle ne nous ont été présentées. Rien sur le temps perdu par les automobilistes, rien sur les niveaux de congestion, rien sur les reports de trafics, rien sur les niveaux de pollutions atmosphériques et sonores, rien sur les comptages automobiles, rien sur le nombre de courriers reçus. Ce serait juste « punitif » de passer durablement à une seule voie de circulation automobile. Sur ce point, la présentation souffre de larges faiblesses de méthode.

La décision

Cette « analyse » conditionne donc le choix de maintenir 2 voies de circulation automobile : ce qui implique nécessairement de construire cette piste bidirectionnelle de 2,5 m de large (avec des portions resserrées à 2m) et des trottoirs de 1,7 m (mini 1,4 m). En bref, c’est la prolongation du schéma initié lors de la première phase il y a deux ans.

Voici la coupe, qui s’étendra de Mouilleron jusqu’à Général Leclerc :

Concernant le stationnement automobile, le nombre de places sur cette deuxième section a été réduite de 15 places.

En revanche, des trottoirs-pistes traversant les carrefours seront mis en place tandis que les carrefours à plus fort trafic seront aménagés de telle sorte que les cyclistes les franchissent à niveau 0 sans ressauts :

Revêtement novateur avec 100% d’infiltration de l’eau

Point d’amélioration notable, les revêtements de la piste cyclable et du stationnement auront la capacité à infiltrer l’eau dans le sol, plutôt que de le drainer et de l’imperméabiliser. La végétalisation sera présente mais sera plutôt légère du fait du peu d’espaces disponibles : habillage végétal des potelets et barrières + arbres côté stationnement. Le projet est fortement subventionné par l’agence de l’eau Rhin Meuse (300 k€ sur les 1,5 M€ du projet).

 

Les travaux vont commencer d’ici le mois de septembre pour se terminer en mai – juin 2022 prochain.

Analyse critique d’EDEN

Du point de vue du cadre de vie, la rue Jeanne d’Arc est une balafre urbaine et bruyante pour les riverains et pour tous piétons qui souhaitent profiter d’une balade à pied voire des trajets du quotidien du parc Sainte-Marie au centre-ville de Nancy. Il faut réserver des espaces agréables, apaisés et suffisamment larges et faire déborder les parcs et les espaces verts dans la rue.

Des trottoirs trop étroits

Avec 1,7 m de large en section courante moyenne et des resserrements à 1,4 m, la Métropole respecte à peine les minimums légaux d’aménagement des trottoirs qui garantissent l’accessibilité. Dans ces conditions, il est impossible pour deux fauteuils roulants de se croiser et il est compliqué de marcher à deux de front. Les piétons sont tentés de marcher sur la piste cyclable voisine, ce qui va malheureusement déclencher des conflits d’usage.

Une piste cyclable sous-optimale

Nous jugeons regrettable le fait d’installer une piste bidirectionnelle cyclable largement inférieure aux recommandations du CEREMA, quand bien même cette piste n’aurait pas vocation à terme d’accueillir le trafic cycliste de transit, fonction qui devrait être dédiée à l’avenir à la rue Jean Jaurès.

Rappel des recommandations du CEREMA :

Voici nos raisons :

  • La piste va indéniablement rencontrer son public, il n’y a qu’à voir le succès de la piste provisoire l’été et l’automne dernier. On peut facilement espérer 1500 à 2000 cyclistes / jour en 2023.
  • Dès la fin du TVR fin 2022, un report modal va s’opérer mécaniquement vers le vélo, car une bonne part des usagers du tram est étudiant. On comptait sur cet axe près de 70000 voyageurs / jour.
  • Donc en 2023, la piste va saturer et devenir très inconfortable à la fois pour les cyclistes, mais aussi et surtout pour les piétons et dans une moindre mesure pour les automobilistes. Les cyclistes vont commencer à se bousculer et la piste ne pourra pas accueillir le public cible, les personnes plus fragiles, les enfants, etc.
  • Cela va renvoyer mécaniquement une mauvaise image des cyclistes pour une large partie de la population qui n’aura pas osé franchir le pas, pour qui le vélo restera une pratique dangereuse et clivante,
  • il n’est pas certain que la Métropole produise des aménagements satisfaisants sur Jean Jaurès. Un tiens vaut mieux que deux tu l’auras.
  • Ce sera la première « vraie » piste cyclable de Nancy (ou presque), elle sera signalée sur tous les plans et GPS comme étant une piste sécurisée pour relier le centre ville avec le sud-est de l’agglo. Une référence contestable.
  • Un réseau cyclable se doit de respecter un standard de sécurité et qualité. On ne devrait pas laisser de mauvaises surprises aux usagers et leur induire un mauvais comportement.

Concernant les trottoirs pistes, nous pensons qu’ils seront insuffisants car la zone tampon de 30 cm et des trottoirs de 8 cm de haut ne sont pas suffisants pour créer une pente suffisamment longue et forte qui indique clairement aux automobilistes que le domaine qu’ils franchissent n’est pas à eux. Voici un bon exemple hollandais :

30 cm d’espace tampon, cela ne permet pas d’assurer une covisibilité optimale avec les automobilistes, pourtant essentielle dans les cas de pistes bidirectionnelles. Cela ne permet pas non plus d’aménager correctement les carrefours conséquents. Il n’y a qu’à voir la pauvre réalisation entre Jeanne d’Arc et Commanderie, générateur de conflits et d’incompréhension pour les cyclistes, les piétons et les automobilistes :

à comparer avec ça :

Le trafic automobile n’est pas si intense

11 000 véhicules / jour, ce n’est pas un trafic si intense. Une seule voie de circulation aurait été en mesure de l’absorber, et le report modal aurait fait le reste. Voyez plutôt, notamment le boulevard de Scarpone ou la voie de l’Amezule qui possèdent une voie également, avec un trafic comparable :

SCALEN 2015 : https://www.agencescalen.fr/files/Aduan/Atlas/ATLAS_2015_4_Reseaux_accessibilite.pdf

Rappelons que le réseau est « dimensionné » pour absorber les heures de pointe. Le reste du temps, ces espaces sont sous-utilisés.

Maintenir une bidirectionnelle automobile, un choix trop serré

Un des arguments de la ville est que le plan de circulation pourrait être transformé pour faire passer à l’avenir une voie bidirectionnelle automobile sur Jeanne d’Arc, c’est pourquoi il est nécessaire de garder deux voies de circulation. Pour rappel, la rue Jeanne d’Arc va faire 5,5 m de large.

Selon les recommandations du CEREMA (ex-CERTU ci-dessous), c’est très étroit pour faire se croiser des poids lourds. Difficile à croire sur un axe de transit à double flux de 10 000 v/jour :

Notre proposition

De gauche à droite :

  • un trottoir de 2 m
  • une piste cyclable bidirectionnelle colorée de 3 m
  • un espace tampon de 50 cm en section courante, augmentée à 1 m à l’approche des carrefours.
  • une voie de circulation automobile de 3,5 m
  • une bande multifonctionnelle de 2 m avec végétalisation, conteneurs enterrés, stationnement automobile épars et éventuellement des voies de présélection automobile à l’approche des carrefours si nécessaire
  • un trottoir de 2 m

Ne pas hésiter à « casser » à l’aide de chicanes la ligne droite automobile à chaque fois où l’occasion se présente pour provoquer naturellement un ralentissement de la vitesse moyenne constatée jusqu’à 30 km/h, ce qui diminuera les risques d’accidents et les nuisances sonores.

Conclusion

Nous trouvons qu’il y avait véritablement matière à transformer la ville avec un réaménagement ambitieux de Jeanne d’Arc. EDEN pense que cet aménagement contribuera à faire bondir l’usage du vélo en ville à Nancy mais qu’il sera rapidement sur-utilisé, entraînant des conflits d’usage et donc un plafonnement d’utilisation. Pourtant, le vélo et les EDPM devraient être des éléments centraux pour la transformation écologique et sociale qui doit être mise en œuvre sans plus tarder, avec méthode et ambition. Nous continuerons de nous mobiliser sur les aménagements cyclables et piétons et nous concentrons à présent sur le plan métropolitain des mobilités, l’enjeu majeur de la rentrée scolaire.

Concernant les Assises de la Mobilité, nous avons publié sur la plateforme une proposition pour soutenir cet article. N’hésitez pas à la soutenir : https://jeparticipe.metropolegrandnancy.fr/processes/p2m/f/185/proposals/1818

3 commentaires

  • Je tombe par hasard sur votre proposition
    Beaucoup de choses très intéressantes

    Il y a à mon avis deux problèmes rue J D’Arc avec les aménagements réalisés, des trottoirs trop étroits et une différenciation insuffisante entre trottoir et piste cyclable qui sont de même couleur et pratiquement au même niveau (je trouve excellente la pratique de certaines villes américaine : les couloirs bus en rouge, les pistes cyclables en vert et les trottoirs en jaune, déjà, rien qu’à la vue, on différencie bien)

    11000 voitures par jour, c’est 1100 voitures à l’heure de pointe, or une file de circulation débite environ 700 voitures à l’heure compte tenu de la présence des carrefours ; une seule file suppose donc un report de trafic, mais pourquoi pas. Une seule file de circulation pose le problème de son interruption momentanée, par un véhicule d’urgence par exemple

    Je verrais bien une coupe qui pourrait satisfaire tout le monde, mais change la position de la piste cyclable et supprime les arbres : de gauche à droite sur votre dessin 0,3m, trottoir 2,3m, Voie de circulation 5m, bordure séparatrice franchissable à faible vitesse 0,4m, piste cyclable 3m, trottoir 2,3m, 0,3m. Les véhicules de secours (pompiers, ambulances médecins) stationneraient à cheval sur la piste cyclable et la chaussée (les conducteurs et les 2 R se verraient bien puisque face à face, et le véhicule de secours laisserait 1,5 m pour les cyclistes et 4,40 m pour les voitures si camion de pompier, 4,80m si ambulance)
    Pour les livraisons, seulement en heures creuses, les véhicules seraient autorisés à stationner sur le séparateur sans empiéter sur la piste cyclable, réduisant la circulation automobile à une voie

    Cordialement

    • Bonjour M. Debano,
      Merci pour votre contribution. J’y vois quelques remarques : d’accord avec vous sur la nécessité de bien différencier chaque espace de circulation. Le contraste sur la piste cyclable est insuffisant et la Métropole n’a toujours pas tranché à ce sujet…
      Problème pour la piste cyclable, elle existe déjà sur la gauche sur la première phase réalisée il y a 2 ans. Il n’est pas entendable de faire changer de côté les cyclistes tous les 200 m.
      Les arbres sont représentés car ils nous semblent utiles pour le cadre de vie et permettent une bande multifonctionnelle entre eux : stationnement, livraison ou conteneurs enterrés.
      Une voie de 5m nous paraît trop large pour parvenir à apaiser les vitesses. La piste cyclable suffisamment large peut-être pour le stationnement des interventions d’urgence, ambulance, etc.

  • Merci M. Fournet pour votre réponse. Effectivement la piste cyclable actuelle est à gauche ; ce n’est pas tous les 200 m que les cyclistes changeraient de coté mais une seule fois, à la fin de la piste actuelle. Tout vouloir, arbres, conteneurs, fera que piétons et cyclistes seront mal servis. Les conteneurs peuvent être placés sur les voies transversales à la place de places de stationnement. Cordialement